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E n s a v o i r p l u s

COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS LA DISTANCE QUE L'ON PEUT NOTER, SOUVENT, ENTRE L'ART CONTEMPORAIN QUI NE SEMBLE ACCESSIBLE QU'A UNE ELITE INTELLECTUELLE, UNE MINORITE 'CULTIVEE', ET LE GRAND PUBLIC ?

On pourrait discuter longuement pour savoir ce qu'on appelle être cultivé.
Il est certain que le regard de tout spectateur doit s'éduquer, mais cela n'a rien à voir avec le niveau de culture. Le regard doit s'affiner, doit procéder d'une démarche d'humilité pour aller vers l'oeuvre, et non l'inverse, l'oeil n'a pas à être connaisseur à priori, l'oeil a à être attentif et curieux, c'est tout à fait différent.
Charles Juliet, dans son dernier ouvrage a parlé de la peinture comme d'un langage propre. Si l'on plaque des mots par-dessus, pour en parler, on se situe dès lors, dans un autre langage, donc, à côté de la peinture. Le langage de la peinture c'est donc la peinture elle-même, c'est la couleur, c'est le geste, c'est la construction, et il faut s'y attacher.

D'OÙ VIENT CETTE DIFFICULTÉ POUR UN PUBLIC NON INITIÉ, D'ACCÉDER AU SENS ET A L'ÉMOTION QUE VÉHICULE L'ART CONTEMPORAIN ? ET SUR CE POINT, QUEL EST VOTRE RÔLE SPÉCIFIQUE EN TANT QUE GALERISTE ?

Mon rôle est précisément de leur expl iquer qu'il n'y a pas besoin d'une culture particulière pour regarder la peinture. Mon rôle est de les déculpabiliser par rapport à un manque de connaissance éventuel, et de leur expliquer que c'est la sensibilité qu'il .s'agit d'affiner, et que c'est sur elle qu'il faut s'appuyer pour apprécier une oeuvre d'art. Mon rôle est aussi de leur donner des clefs pour comprendre la démarche d'un artiste.
Le problème est que les gens cherchent dans l'art en général, et dans la peinture en particulier, de la figuration. Ils ont l'habitude de côtoyer une peinture figurative, la peinture des grands musées, la peinture des livres scolaires. Donc quand ils sont en présence d'une oeuvre abstraite, c'est comme un jeu de devinettes: ils cherchent toujours à savoir ce que cela veut dire, ce que cela représente. Il est vrai que pendant des siècles, la peinture a représenté quelque chose, elle avait une fonction presque historique, sociologique, elle était un témoignage. Mais aujourd'hui c'est terminé, la peinture n'a plus à jouer ce rôle: il y a eu l'apparition de la photographie, à la fin du siècle dernier, puis du cinéma, enfin, de la télévision. L'art contemporain transmet des émotions. Et il faut avant tout, prendre le temps de regarder une oeuvre, c'est-à-dire prendre le temps de la sentir. Pour faire à nouveau référence à Charles Juliet, il faut laver son oeil, pour arriver à regarder les choses avec un regard propre et neuf. Alors c'est vrai que ce n'est pas facile, mais ce n'est rien d'autre que cela. On est trop habitué aujourd'hui, à subir des images, à être passif. Dans l'art contemporain, c'est donc au spectateur d'être actif et d'aller vers l'oeuvre, au lieu d'attendre comme devant la télévision, que des images viennent vers nous. Il faut donc non seulement regarder avec ses yeux, mais avec son être tout entier, grâce à notre sensibilité, ainsi nous aurons accès à l'émotion.
Cela ne se fait pas en un jour, c'est certain. Tout se ramène au développement de notre propre sensibilité. Il ne faut pas hésiter par exemple, à aller visiter toutes sortes d'expositions, c'est ce que je dis aux gens, allez voir tout ce qui se montre, n'hésitez pas, et à ce moment-là, petit à petit, les choses vont se décanter, vous allez vous apercevoir que certaines oeuvres vous font vibrer, alors qu'avant ce n'était pas le cas, ou que certaines toiles vous touchent, et pas d'autres.